Judith Butler – Chevalier dans l’Ordre des Arts et Lettres

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Judith Butler, discours lors de sa nomination de Chevalier de l'Ordre des Arts et des Lettres
Le 26 Janvier 2015, le professeur Judith Butler, initiatrice des études de genre, est nommée Chevalier dans l’Ordre des Arts et Lettres par la France.

Rappelons brièvement qui est Judith Butler, ce que sont les études de genre, y a-t-il d’ailleurs une « théorie du genre » comme certains le clament ?

« …La réalité est que la théorie du genre n’existe pas. Ce qui existe sont les études de genre (gender studies) : il s’agit d’un domaine de recherche interdisciplinaires visant, je cite wikipédia,

une réflexion sur les identités sexuées et sexuelles, répertoriant ce qui définit le masculin et le féminin dans différents lieux et à différentes époques, et s’interrogeant sur la manière dont les normes se reproduisent jusqu’au point de paraître naturelles.

Ce n’est que cela, un sujet d’étude, et c’est déjà beaucoup. Il nourrit des réflexions, des critiques, des controverses, et la connaissance de ce que nous sommes en sort grandie. Il est triste de voir dans le pays de Descartes un sujet d’étude transformé en idéologie pour secourir une argumentation qui se sent trop boiteuse avec les faits. » Tiré du blog Journal d’un Avocat de Maitre Eolas, publié en mai 2013 alors que le mariage pour tous n’était pas encore voté et que naissaient au sein du groupe opposant, l’idée fumeuse de la « théorie du genre ».

Judith Butler, Chevalier de l'Ordre des Arts et des Lettres
Judith Butler, Chevalier dans l’Ordre des Arts et Lettres

Le professeur Judith Butler, philosophe Américaine née en 1956, a inititié ces études de genre avec la parution de son livre Trouble Dans Le Genre en 1990. Celle-ci nous donne une brève explication de ce que sont les gender studies :

« …Loin de détruire ou d’abolir, les gender studies élargissent la perspective : elles ne disent pas que les normes n’existent pas ou qu’elles sont fausses, mais, au contraire, qu’elles ne cessent de se transformer au cours de l’histoire. Elles n’opèrent pas de la même façon, tout le temps et partout, et ne sont donc pas figées dans un schéma unique.

Qu’est-ce que cela implique ?
De prendre en compte ces changements. Ainsi, l’institution du mariage a muté au fil des siècles. Ainsi, la place des femmes dans l’espace public s’est transformée – mais l’espace public a également changé. L’histoire de la biologie, et de la façon dont elle se représente la différence sexuelle, est, elle aussi, évolutive. Il existe des visions plus ou moins larges ou étroites du genre ; certaines n’entrent pas dans la case habituelle « homme » ou « femme ». Il existe des expériences autres : celle des transgenres, celle de la bisexualité, par exemple.

Pourquoi ne pas essayer de réfléchir à cette complexité plutôt que de fermer les possibilités ?

Et il ne s’agit pas de forger des théories, il s’agit d’abord de saisir la vie des gens, telle qu’elle se déroule sous nos yeux.

Dire « je suis contre le genre », c’est dire « je veux que rien ne change jamais, je ne veux même pas avoir à penser le changement ». C’est absurde. » tiré d’une interview de Judith Butler, paru dans Télérama en janvier 2014

Ce lundi 26 Janvier 2016, Judith Butler est nommée par la France Chevalier dans l’Ordre des Arts et Lettres.

À cette occasion, nous avons rencontré Stéphane Ré, attaché culturel à San Francisco.

Stéphane Ré, attaché culturel à San Francisco
Stéphane Ré, attaché culturel à San Francisco
– Quel est le processus de décoration par la France ?

Les services culturels de tous les pays du monde proposent des personnes pour des décorations.

Toutes les propositions sont examinées par le Ministère de la Culture. Judith Butler avait été proposée juste avant que je sois nommé, pour le grade de Chevalier de l’Ordre des Arts et des Lettres. Après sa nomination par Paris, nous avons accordé tous les agendas et organisé cette cérémonie de remise de médaille.

– Pourquoi a-t-elle été proposée pour cette décoration ? Pourquoi maintenant ?

Compte tenu de ce que représente Judith Butler, c’est étonnant qu’elle n’ait pas été proposée pour une nomination dans l’Ordre des Arts et Lettres avant. Si on s’amusait à faire le top 10 des grands philosophes vivants, elle serait bien entendu incluse, indépendamment des questions de genre.

Judith Butler a eu un impact énorme sur le monde. Il y a peu de penseurs de son niveau, peu de penseurs qui ont fondé un concept, peu de personne, et c’est aussi sa spécificité, qui ont bouleversé la vie des gens.

Elle a marqué beaucoup de monde, autant dans leur réflexion que dans leur vie quotidienne. Dans notre approche du monde, de la sexualité, de la parentalité.

La réflexion sur le genre, initiée par Judith Butler, prend ses origines à San Francisco. Cette ville offre une ouverture unique au monde, ouverture de la pensée, liberté de réflexion. Nous allons profiter de cette énergie pour mettre en place cette année, avec elle, un événement important qui aura pour titre « Gender in translation ».

Seront réunis des penseurs, des chercheurs, des artistes franco-américains pour réfléchir sur la façon dont le mot genre, gender en anglais, est traduit dans chaque pays et ce qu’il sous-entend. Qu’est-ce que le gender est par exemple devenu en France ?

– Cette décoration a-t-elle un sens particulier dans le contexte actuel ?

Bien sûr car en ce moment, on parle beaucoup de genre, on se questionne beaucoup dessus.

On voit bien qu’en France, le débat sur le genre a pris un tour politique, avec des positions très radicales et beaucoup d’idées reçues ou de fantasmes sur une supposée « théorie du genre ». Revenir aux écrits de Judith Butler, c’est surtout accepter de soulever les questions, et avant même de se prononcer publiquement « pour ou contre »  le genre, de réfléchir « aux processus » qui sont à l’œuvre, notamment dans la construction d’une identité psychique chez les enfants.

Ces histoires de rôles que tu dois jouer commencent dès l’enfance.

J’ai en mémoire une anecdote à ce sujet. Ma fille avait 5 ans, elle était en maternelle et ils devaient faire un spectacle de fin d’année. Comme personnage il y avait les chevaliers et les princesses. Elle n’avait pas le droit d’être un chevalier car c’était pour les garçons. Elle ne se sentait pas non plus  fi-fille princesse. Et il n’y avait pas d’alternative à ça. Donc il a fallu trouver quelque chose et finalement elle a fait le monstre qui arrive à la fin. Symboliquement c’est très fort. La plupart des gamins s’incarnaient sans problème dans les stéréotypes qu’on leur présentait. Mais voilà sur 20 gosses, il y en a un peut-être deux qui avaient besoin de plus de choix et de liberté.

Ça semble très tôt 5 ans pour catégoriser les enfants dans un rôle.

– Quel est le lien entre la France et Judith Butler ?

La France ne décore pas que des personnes qui ont un lien avec la France. C’est plutôt une reconnaissance par la France de la valeur d’une grande figure intellectuelle ou artistique.

On pourrait traduire cela comme « La France reconnaît votre grandeur. »

En ce qui concerne Judith Butler, elle a été influencée par les grands penseurs Français comme Simone de Beauvoir, Foucault. Puis elle a à son tour influencé et engendré un mouvement de réflexion sur les genres dont toute une pensée Française, avec des personnes comme Eric Fassin, Eleni Varikas…

– Interview réalisé à San Francisco, janvier 2015

 

Pour lire ou relire Judith Butler, nous vous conseillons la très bonne boutique Violette and Co, à visiter à Paris dans le 11ème ou en ligne.

Vous y trouverez plusieurs ouvrages de Judith Butler dont le livre qui l’a fait connaitre,

Trouble dans le Genre, Judith Butler Trouble dans le genre, ainsi que Ces corps qui comptent.

Et tant qu’on est dans l’espace libraire, nous vous invitons à vous lancer à corps perdu dans Le Deuxième Sexe de Simone de Beauvoir, source d’inspiration de Judith Butler. À la recherche du célèbre :

« On ne nait pas femme, on le devient »

Personne ne souffle le numéro de page, ok ?

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