Cathy Peylan, backroom de filles – ITW

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Backroom Page9 CathyPeylan

Cathy Peylan a illustré le premier texte de Trinity, le très lu et apprécié Hussy Naughty Cherry Tree. Cathy est photographe, travaille sur les corps, celui des femmes principalement. Des relations lesbiennes, des histoires de genre… Elle nous parle ici de son travail.

« Des années de photos de danse ont sûrement formé mon regard au langage du corps : en mouvement ou immobile le corps raconte toujours une histoire passionnante. Émouvante aussi. Et je crois que c’est cette quête permanente de ce que raconte le corps qui me guide. »

Cathy a réalisé plusieurs séries qui questionnent le genre. Un genre aujourd’hui très médiatisé.

Quels étaient tes propres questionnements à ce sujet ?
Je travaille rarement sur commande et mes choix de sujets dépendent beaucoup de «l’air du temps» que je respire et dont j’expire ma vision des choses. « Mauvais Genr[e]s ? » date de 2002 et était une réaction épidermique à l’intolérance  de certaines lesbiennes envers d’autres. En clair, celles qui n’aimaient pas les butchs parce qu’elles renvoyaient  une mauvaise image des lesbiennes. Mon questionnement est dans le titre : est ce que je passe du mauvais côté si je refuse les codes attribués, si je décide d’en utiliser d’autres ?… J’ai déserté la photographie ces dernières années. Le genre s’est médiatisé. Les étiquettes, les catégories se sont multipliées. Les intolérances aussi me semble t-il.

Parlons un peu de Backroom, qui semble être ta dernière série. Des images surprenantes, que je pense peux ont l’habitude de voir ou même de vivre. Quelle a été ton approche ?

« Backroom #1 » (2006) n’est pas la dernière série. Après il y a eu « [7]-je suis lesbienne et j’ai péché » (2007) qui fait partie, comme « Backroom » de « Girls on the dark side ». Et l’ovni « Collection Privée » (2008) où j’ai commencé à me mettre en scène et qui attend une suite…

Je me suis demandé si nous, lesbiennes, étions capables dans notre conception de l’amour, d’abandonner la « vision romantique » du désir.

Si nous étions, comme les gays, capable du sexe pour le sexe ou bien si nous étions condamnées (biologiquement ? Socialement ? ) à l’amour.

Techniquement, la backroom, est-ce que ça a été compliqué ?
Le thème du 5eme colloque international d’études lesbiennes à Toulouse en avril 2006 était « Tout sur l’amour(sinon rien) ». Le moment rêvé pour poser mes questions. J’ai proposé un atelier photographique qui a été pudiquement appelé « Camera Oscura » pour faire moins « PD » (ça commençait mal) suivi d’une expo le lendemain. Mais l’idée restait la même: des filles y entreraient (bien sûr averties de ma présence) pour participer, regarder…c’était « open ». La backroom a été mise en place pour la soirée du colloque à l’ancienne Luna Loca dans une petite pièce à côté de la piste de danse, quelques tissus pour vaguement délimiter des espaces, un bidon ambiance garage, une banquette en skaï rouge et 2 (très) petites sources lumineuses…photos obligent. Et la musique de la Dj qui te traversait le corps. Je suis restée dans la pénombre pour laisser les choses se mettre en place… Elles m’ont vite oubliée…C’était chaud !

Pour certaines un lendemain difficile face aux photos (culpabilité ?).

Visiblement personne ne sortait vraiment indemne de cette expérience. Je ne sais pas si c’était une réponse à mes questions mais dans la semaine j’ai reçu plusieurs mails, des filles qui avaient participé à la backroom, me demandant les coordonnées de leurs partenaires inconnues…

Lorsque l’on regarde tes photos de « Parlez-moi d’amour » il est clair qu’il n’y a pas « une relation lesbienne », ou « un type de lesbienne mais plutôt une multitude de relations lesbiennes et de lesbiennes différentes. Tout comme on pourrait le dire des hétéros d’ailleurs… Ça semble évident mais pour certains ça ne l’est pas tant que ça. J’ai l’impression que l’image simpliste de « une lesbienne est une fille qui n’aime pas les garçons » est encore actuelle. Pourrais-tu nous dire ce que, pour toi, être lesbienne signifie ?

Pour moi être lesbienne c’est aimer les femmes, les préférer  aux hommes. Mais quelles femmes ? Celles qui utilisent quels codes ? Quels sont le ou les « déclencheurs » qui vont faire la magie d’une rencontre ? À chacune nos désirs.
J’ai toujours ressenti le fait d’être lesbienne comme une force.  Dans les années 70 l’homosexualité n’était pas le sujet à la mode. Je fréquentais le « milieu homo » comme une seconde famille où je pouvais faire ce que la société m’interdisait. Je m’y suis construite, affirmée en assumant cette différence dont je suis fière. Aujourd’hui j’ai du mal à me retrouver dans l’image lisse d’une lesbienne qui aspire au mariage, à la famille…La société est rassurée mais attention à ne pas se perdre à force de rentrer dans le rang.

Séance photo pour "7" - "L'ORGUEIL"

Aurais-tu une histoire de coming out à nous raconter, qu’il te concerne directement ou non.
Je devais avoir 25 ans quand ma mère, après avoir vu passer mes différentes amies chez elle pendant plusieurs années, m’a dit qu’elle savait depuis le début mais, que me connaissant, elle ne m’avait pas demandé de choisir entre changer de vie ou quitter la maison pour ne pas me voir partir. Vers la trentaine, quand j’ai renoué avec mon père perdu de vue depuis le divorce de mes parents,  il m’a dit « C’est ta vie. L’essentiel c’est que tu sois heureuse ». J’ai une amie à qui son père a dit « j’aurais encore préféré que tu sois pute plutôt que gouine »…avant de la mettre à la porte. Paroles d’hétéro, irrespectueuses de l’une et de l’autre.

Quel est ton regard sur l’époque actuelle ? 
La vie ne passe plus, elle défile. Sur nos écrans, sur les réseaux sociaux, dans nos e-mails. A l’ère de la communication nous ne savons plus nous parler de vive voix et encore moins nous écouter. Nous avons des tas d’ami[e]s virtuel[le]s mais nous vivons de plus en plus seul[e]s. En un clic nous avons le monde entier sous les yeux mais une image chasse l’autre sans que nous ayons le temps d’en saisir le sens. Un monde d’images ! Le paradis pour une photographe ? Sauf que là aussi il y a risque d’uniformisation de la création, de l’imaginaire…du sens artistique. D’un autre côté on peut découvrir des talents, avoir accès à la connaissance…en un temps record. Mais le danger reste l’éphémère.

Quelle est ton actualité ? As-tu des projets ?
Dans un premier temps choisir les dernières photos pour mon site www.peylan.com que Patricia d’Artotem à Marseille est en train de faire renaître après plusieurs années d’abandon. La version presque terminée est en ligne depuis le 4 mai.
En vue :
⁃    un travail sur corps et modifications
⁃    écrire un bouquin à 4 mains
⁃    continuer «  Collection Privée » (mise en scène de mon propre corps) et la série I-Pictures (photos I-Phone, apps I-Pad)
⁃    etc… Il me faudra des journées de 48 heures et des semaines de 15 jours. »

Voudrais-tu rajouter quelque chose à l’adresse de nos lectrices – lecteurs ?

L’Art (dont la photographie fait partie) nous sauvera toujours de l’ennui et des ténèbres. Continuez à lui donner un sens. Ne le consommez pas, vivez le !

Interview Cathy Peylan par Neole

Pour suivre Cathy:
http://www.peylan.com
https://www.facebook.com/cathy.peylan

2 COMMENTAIRES

  1. Chouette présentation d’une artiste qui semble l’être tout autant.
    Merci pour la découverte, et peut-être à bientôt au détour d’une exposition !

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