Erochromatiquement

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En poussant la porte de ce studio photo, j’ai repensé à ce matin. À tous les matins en fait, depuis tellement de temps que ça donne le tournis.

Cernée entre la balance et le miroir, le dégoût de soi chevillé à l’âme, et ce corps que je ne peux plus voir, que je ne veux plus voir. Ce corps haï. Ce corps aux mille défauts.

J’ai repensé au moment où j’ai eu cette idée saugrenue de shooting photo. Un peu comme on se jette à l’eau alors qu’on a peur de ce qu’il y a sous la surface, avec l’assurance naïve des enfants. Et puis il y avait cette annonce, sur Facebook, un studio photo qui offrait des shooting pour trois fois rien et qui affichait pleine page un slogan : « Vous êtes beaux comme vous êtes ». Je me rappelle avoir pensé : « mais oui, bien sûr… ».

Et aujourd’hui, je pousse cette porte comme un dernier recours. Quand la photographe que j’ai eue au téléphone m’a demandé ce que je voulais, je n’ai pas su quoi répondre. Je ne pouvais quand même pas demander à cette inconnue de me rendre belle…
J’entre dans une grande salle encombrée de matériel que je n’identifie pas, de draps blancs et de tabourets disséminés çà et là. Une jeune femme m’accueille avec un sourire franc.

– Salut ! C’est moi que tu as eue au téléphone. Je suis Maëlig.

Elle me sert la main et m’invite à m’assoir sur un canapé défraichi.

– Alors, je t’explique comment ça se passe. Tu restes deux heures avec moi en tout. Je
commence par prendre des photos sur le vif, sans pose, juste le temps que tu te mettes à l’aise et puis on voit ce que tu veux faire. Je fais beaucoup de noir et blanc, beaucoup de nus artistiques aussi, comme ici avec les effeuilleuses burlesques d’un cabaret de Lyon.
Elle me tend un porte-vue empli de photos de femmes superbes, dans le plus pur style années 50, et vêtues du strict minimum.

– C’est toi qui vois ce que tu veux, tu me dis. L’important est de s’amuser. On ne fait pas de photos d’identité tristes ici.
Maëlig va fermer la porte du studio, arrange l’éclairage et tire au fond de la pièce un écran blanc qui fera le fond neutre des photos.

La séance commence dans un silence pesant. Mal à l’aise, je ne sais pas prendre la pose. Sur les premiers clichés qui apparaissent en simultané sur l’écran du Mac derrière elle, j’ai l’air d’un lapin pris dans les phares d’une voiture. Je m’assois par terre de dépit.

– Je suis désolée, ça ne marchera jamais.

– Tu veux bien me laisser essayer ?

Elle pose son appareil au sol et s’accroupit à mes côtés. Elle reste un moment à réfléchir, le regard dans le vague, et je m’autorise enfin à la détailler. Sa peau diaphane contraste avec le roux flamboyant de ses cheveux qui s’emmêlent en boucles folles. Des tâches de rousseur parcellent ses joues. Quand elle tourne les yeux vers moi, je détourne le regard, comme prise en faute, le rouge aux joues. « Laisse-toi faire » dit-elle. Avec le front strié d’un pli de concentration, elle me prend les bras et les place autour de mes genoux. Délicatement, elle oriente mon visage vers la gauche, et replace du bout des doigts une mèche de mes cheveux en arrière. Ce simple contact m’électrise. Un frisson me parcourt la colonne vertébrale jusqu’à la nuque. Elle est magnifique. Les clichés et les pauses s’enchaînent, et je me laisse guider comme une marionnette. A chaque fois qu’elle m’aide à prendre une nouvelle pose, le contact soyeux de sa peau sur la mienne me fait retenir mon souffle.

– Allez, petite pause café. Tiens, viens par là, je vais te montrer ce qu’on peut faire d’autre.

Elle sort de l’étagère un livre coloré et me le tend. « Pin up » annonce sans détour la couverture.
Je ne peux m’empêcher de rire : « mais jamais je ne pourrai faire ça ! »

– Mais si, pourquoi pas ? Les poses rendent en général très bien tu sais ! Et puis j’ai des accessoires marrants d’un dernier shooting !

Le temps d’un café, je me laisse convaincre. Dans la petite salle décrépie qui sert de vestiaire, j’enlève mon t-shirt et mon pantalon, me répétant comme un mantra que c’est pour ça que je suis venue, et qu’après tout c’est comme si j’étais en maillot de bain. Sursaut. Maëlig a surgi derrière moi sans que je ne l’aie entendu ouvrir la porte. Elle farfouille dans une grande caisse en se parlant à elle-même et en sort des tissus chatoyants et des pans entiers de dentelle noire aux reflets moirés. Son regard sur moi fait monter dans mon ventre une chaleur presque liquide.

De retour au studio, elle m’assoit par terre et fait glisser contre mon épaule nue une étole noire. Je frissonne. Elle déplace mes bras, mes mains, mes jambes, lisant ma peau comme du braille. Ses mains blanches de porcelaine sont douces et assurées, je ne les imagine pas ailleurs que sur moi. Entre chaque prise, elle se joue de moi comme d’une poupée, et je me laisse faire, manipuler, magnifique indolence patinée de l’envie qui monte, et de mon ventre qui brûle à l’intérieur. Au fil des pauses, elle m’effleure le dos, le ventre, la nuque. En s’approchant, elle fait glisser ses doigts sur mon soutien-gorge. Je suis tétanisée. Elle recule sans crier gare, ramasse son appareil et me mitraille. « Allez, ne bouge pas ». Je l’entends à peine, troublée par son dernier geste que je ne parviens pas à associer à un fait exprès.

Elle sourit de mon trouble en s’agenouillant derrière moi. Je brûle à son contact. Je sens sur ma nuque son souffle profond, et la caresse de ses boucles rousses. D’une main assurée, elle dégrafe mon soutien-gorge et le fait glisser doucement le long de mes bras. Ses mains remontent ensuite, glissent sur ma peau et sans hésiter se posent sur mes seins. Je ne vois pas son visage, collé derrière le mien, je ne vois plus rien, je ne sens plus que son corps contre moi et ses mains.

Sans prévenir, elle se retire une nouvelle fois, me laissant sur le sol, le corps en feu et l’esprit perdu. Maëlig se joue de moi. Mais je ne peux pas m’en aller. Je ne veux pas m’en aller. Les photos s’enchaînent sans que ma semi nudité ne me pose problème. À travers l’objectif, je cherche son regard, frissonnante de frustration.

Quand elle cesse enfin de mitrailler, mon ventre se creuse. Elle m’allonge au sol, arrange ma main gauche près de mon visage puis laisse à nouveau sa main m’effleurer comme une plume. Elle s’attarde sur mon ventre, suivant du majeur les lignes de mon tatouage jusqu’à ce que ses doigts soient arrêtés par la couture de mon boxer noir. Pendant une poignée de secondes, elle suspend son geste, et je retiens mon souffle. Elle reprend son chemin dans un imperceptible soupir. Ses doigts légers lisent le nylon, découvrent mon mont de Venus, parcourent l’intérieur de ma cuisse avec une précaution extrême. Je me fais liquide quand elle remonte vers la couture et baisse mon shorty, gratifiant mes jambes de la douceur de sa peau. Tout me fait l’effet d’une danse à la chorégraphie si lente et si précise qu’elle t’agrippe le ventre. Je ne peux que fermer les yeux. Les images n’ont plus d’importance.

Ses doigts dessinent sur ma peau. Petits cercles et arabesques qui montent jusqu’à mes grandes lèvres. Je ne peux retenir un sursaut, mais elle continue. Son majeur suit la ligne de mes petites lèvres et contourne mon clitoris. L’envie devient intolérable. Elle semble jouer. Elle frôle et elle effleure, et elle appuie doucement, et je ne me retiens plus. Mon souffle haletant résonne dans la pièce nue. Les caresses semblent bouillantes d’un coup. Je mets quelques secondes à reconnaître sa langue sur moi. Elle se pose sur mon clitoris, le flatte, le contourne. Mes gémissements emplissent la pièce. Et sa langue entre en moi. Mos dos se cambre, et je ne peux retenir ma main qui vient se raccrocher à ses boucles folles. De la pointe fine de sa langue écarlate, elle me visite, remonte sur mon clitoris, redescend encore. Ses lèvres m’aspirent et me relâchent. Elles dansent. Elles jouent. Entre flots et jusants, je me liquéfie. Des vagues de frissons brûlants parcourent mon ventre et s’échouent dans mes mains qui ne veulent plus la lâcher. Qui disent ce que je n’ose pas prononcer. « Continue. Ne t’arrête pas. Continue comme ça. »

Quand elle saisit mes poignets pour ôter mes mains de ses cheveux et qu’elle se redresse, attrapant son appareil, je ne peux retenir une plainte. Je tremble d’envie d’encore, échouée, complètement démunie.

« Ne bouge pas. Tu es belle »

CathyPeylan Intime

Un texte de Trinity, Photo de Cathy Peylan

9 COMMENTAIRES

  1. Pfiuuuuuuuuuuuu ! Si toutes les séances photos se passaient ainsi ce serai super … Belle histoire… Belle implantation de personnage… C était torride ! Juste, la photographe canon tu pourrais imaginer sont numéro ? J ai des photos d identité à faire ^^

      • certes tout s’apprend mais bon! avec la pression de mon entourage qui n’accepte pas l’homosexualite et le fait que dans ma tete j’essai de me convaincre que je ne le suis pas totalement pourtant j’y pense…bref …je suis perdu…donc apprendre certe mais avec qui?! lol..mais t’inquite ce n’est pas une invite puisque je suis a des kilometres…merci quand meme…

        • Je comprends, ce n’est pas toujours facile, mais tu trouveras une fille bien qui t’apprendra… Quant à ton entourage qui n’accepte pas ton orientation sexuelle, j’ai envie de dire, envoie les paître, au moins en pensée : ils ne veulent pas ton bonheur? C’est ridicule… N’oublie pas, la famille, ce sont les gens dont on choisit de s’entourer 🙂

          • ils veulent mon bonheur mais pour eux je ne peux qu’etre heureuse en ayant un bon boulot un mari et des enfants…ils n’envisage meme pas que cela puisse arriver (je veux dire le fait d’etre attiré par les femmes) je vis dans une société ou nos coutumes familliale ne tolère pas cela…même les personnes qui le sont ou qui ont ses pulsions préfèrent se cacher et n’osent pas donner leurs avis sur la question… il n’y aura pas assez de place pour tout raconter si je doit commencer et en plus ici c’est publique…merci de m’avoir repondu..

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