Histoire d’X

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X

Je la regarde depuis ma fenêtre descendre la rue comme on vole, légère et gracieuse, chargée comme toujours de sacs de toutes les couleurs.
La sonnerie suraiguë de son portable la fait sursauter. Nathalie pose ses sacs à même le trottoir pour tenter d’attraper l’appareil hurlant au fond de son sac à main. Je la vois fronçant les sourcils sur ce message, encore un, de ce numéro inconnu, le mien.
« Tu es magnifique aujourd’hui, cette robe bleue te va à ravir »
Au début, quand j’ai commencé à lui envoyer des messages il y a quelques semaines, elle semblait paniquer un peu devant ces déclarations anonymes. Je peux le comprendre, mais comment faire autrement ? Comment lui dire tout ça ? Peu à peu elle s’est mise à attendre ces messages, à les apprécier, les collectionner. Je le sais car elle sourit, juste là à quelques dizaines de mètres devant moi, derrière cette vitre. Elle ne m’a encore jamais répondu. Mais elle sourit, et ça illumine ma journée.
« J’ai envie de dégrafer cette robe et de te mater à en perdre la vue »
Je suis trop loin pour voir si le rouge lui monte aux joues.

Nathalie
« Qu’est-ce qu’il y a de mal à garder ces messages, ce ne sont que des mots après tout ? » Même en ne me parlant qu’à moi-même, ça sonne faux. Je suis mariée bon sang, j’aime ma femme, pourquoi je garde ça alors ? Mon téléphone sonne à nouveau :
«Envie de sentir tes seins sous mes doigts, ta bouche contre la mienne. Viens ce soir, hôtel Five, chambre 7, 19h. »
Ce n’est pas la première fois que cette inconnue m’invite, sans que je ne sache rien d’elle, si ce n’est que c’est une femme que je dois croiser souvent. Elle sait comment je m‘habille, connait mes horaires, elle me côtoie donc de près. Si elle avait voulu me faire du mal, ce serait déjà fait, non ? Pour la 1ere fois, je caresse l’idée de me rendre à ce rendez-vous. Cette simple pensée me fait monter le feu au ventre. Après tout qu’est-ce que je risque ? C’est un grand hôtel, pas un truc minable qui aurait sa place dans un film d’horreur ! Un frisson me court la colonne vertébrale, mélange d’excitation et de peur, je me fais l’impression d’attendre devant un manège à sensations. C’est peut-être pour ça que je cède d’ailleurs. Les sensations. Depuis combien de temps Isabelle ne m’a-t-elle pas fait ressentir ça ? Je veux y aller. Isabelle n’en saura rien après tout, elle est encore à une de ses foutues réunions qui l’obligent à me laisser en plan 2 fois par mois…

X
21h50. Je fais les 100 pas dans la chambre, fébrile. La pièce est parfaite. Le lit semble flotter au-dessus du sol, seulement éclairé par des dizaines de petites diodes violettes piquetées au plafond et donnant à l’épaisse couette blanche un aspect de nuage. C’est magnifique. Une chambre de conte de fées. Le paradoxe n’en sera que plus savoureux. Mes yeux s’accommodent de la pénombre et je me fais féline entre les meubles, guettant le moindre bruit dans le couloir.

Nathalie
Une sueur froide me chatouille le bas des reins. Je suis devant la porte n°7. Je peux encore faire demi-tour, partir, rentrer chez moi. Ma main se lève au ralenti. Le contact froid de la poignée de la porte me calme étrangement.
J’ouvre la porte avec précaution. À l’intérieur, une chambre plongée dans la presque obscurité. Plafond tacheté de points lumineux mauves. C’est très joli. Aucun bruit ne me parvient. Si elle est en retard, je m’en vais. Me répéter cette simple phrase me rassure, comme si j’étais encore maîtresse de la situation. Je cherche à tâtons l’interrupteur sans le trouver et la porte se referme derrière moi. Je sursaute et me fige. Dans le noir, j’entends une respiration. Mon ventre se tord, pupilles écarquillées sur la nuit artificielle pour tenter de percevoir l’inconnue.
Je sens un souffle léger dans ma nuque, une main qui me frôle le bras, légère comme une plume. Contre mon visage, un morceau de tissu. Deux mains invisibles viennent le coller contre les paupières, très lentement, comme pour me permettre de fuir si je le voulais. Je ne bouge pas. Le nœud se referme dans mes cheveux, me privant d’un sens et me laissant à sa merci.

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X
Les yeux bandés, elle attend devant moi, étrangement en confiance. Cette naïveté aveugle me touche. Je la déshabille avec précaution et je la regarde. Des seins ronds et lourds, des hanches larges et douces, magnifique et généreuse comme je les aime.
Elle frissonne, de froid ou d’appréhension. Ses tétons pointent vers moi leurs bouts sombres. Je les saisis du bout des doigts, les roulent entre pouce et index, les pincent doucement. Son souffle s’accélère. Mes dents remplacent mes doigts, mordillent et goûtent. Elle se pâme.
Je me redresse et la guide vers le lit sur lequel je l’enjoins à se coucher. Elle se laisse faire et se met à l’aise, cuisses légèrement écartées. Plus de faux semblant, elle en crève d’envie. Et moi je veux l’entendre.

Nathalie
Ma conscience s’en est allée, chassée par les battements sourds de mon cœur que je sens pulser entre mes cuisses. Je me sens trempée à en être honteuse. Elle ne m’a pourtant presque rien fait.
Elle me saisit le poignet droit, l’amène vers la tête de lit, et je sens se refermer autour de mon poignet une sorte de sangle rêche comme une lanière de sac à dos. Elle m’attache. Mon cœur manque un battement. Elle doit sentir mon trouble car elle tire doucement sur mon poignet droit et le lien cède sans mal. Elle le replace. D’accord. Tout est factice. Tout est consentement. Pour lui signifier mon accord, je tends l’autre poignet vers le haut. Je ne vois rien, et « pour de faux » je ne peux plus bouger.
Son souffle frais passe sur ma nuque, s’attarde sur mes seins tendus, descend le long de mon ventre et s’arrête sur mes grandes lèvres. Elle ne fait que souffler, dirigeant une invisible caresse le long de mes nymphes jusqu’à mon clitoris, dosant ses mouvements avec science pendant ce qui me semble être une éternité. Je me cambre, soulevant mes hanches, essayant en vain de sentir ses lèvres sur moi. Je veux qu’elle me touche.

X
La voir ainsi tremblante d’envie me comble. Elle cherche le contact. Je ne peux la faire attendre d’avantage. J’entre deux doigts au cœur de ses nymphes, les précipite en elle. Elle grogne son plaisir, elle feule et ses cris me ravissent. Mes doigts peinent à combler le vide qui s’est creusé en elle, ils se retirent et reviennent, le majeur en plus. Mes va et vient trempent les draps de son excitation et remplissent la chambre de gémissements que les murs étouffent. Elle s’accroche à ses liens, et son ventre ondule. Je rentre mon pouce dans ma paume et je vrille mon poignet, suivant le rythme de ses hanches. Je la prends de ma main entière. Etrange sensation. Je me voulais aux commandes et je ne contrôle plus rien. Elle me tient en elle, me possède, et se joue de moi. Je ne bouge pas. Elle halète, sans parvenir à perdre souffle. Délicatement, je viens saisir du bout de la langue son clitoris gonflé par l’envie. Du plat de ma langue, je joue de son plaisir, aspire, agace, tout en vrillant doucement ma main. Nathalie vocifère, crie, se répand enfin sur les draps, sur moi, sur ma main qui se noie en elle et sur ma langue qui se couvre de cyprine chaude. Tressautements.

Nathalie
Cet orgasme m’a fauché en plein ciel. Quand elle retire sa main de moi, je me sens vide et vidée. Poupée de chiffon en travers du lit. Ruisselante.
Quelques minutes s’écoulent pendant lesquelles je reprends possession de mon corps. Puis je la sens qui me détache les poignets, et me guide pour me retourner. Je me laisse manipulée, subjuguée et docile. Ses mains découvrent mes rondeurs callipyges, les caressent, les malaxent et des images de choses inadmissibles emplissent mon esprit. Difficilement, je me redresse, et dans cette position que jamais je n’aurais associée au plaisir auparavant, je creuse les reins pour signifier mon consentement entier, mon envie de plus. Je suis indécente et je ne me reconnais plus.

X
Elle s’offre. Il n’y a pas d’autres mots. Elle s’offre et je cueille ma chance du bout du doigt. Une phalange entre sans difficulté, deux puis trois suivent. Je suis à l’écoute du moindre son, du moindre tremblement. Avec une infinie douceur, je donne plus d’ampleur à cette caresse inédite qui lui arrache des sons résonnant comme des miaulements. Le contrôle change de camp. Je deviens marionnettiste. Mon majeur l’envahit à son tour, dans une lenteur étudiée. Je regarde mes doigts disparaitre en elle, je fouis et détoure, fébrile et appliquée, encore et encore, jusqu’à entendre ses ongles crisser sur les draps. De ma main libre, j’investis ses nymphes, pinçant délicatement son clitoris entre mes doigts. Décharge sensitive. Elle se contracte tant que j’ai peine à la maintenir contre moi.
Quand ses muscles demandent répit, je la laisse couchée sur le flanc et remonte un drap sur ses épaules. Quelques minutes pour rassembler mes affaires et embrasser la pièce du regard, imprimer l’instant à mes rétines, et déjà la nuit me fait disparaître.

Nathalie
Je mets de longues minutes à émerger de ma torpeur délicieuse, et à peine plus pour constater que je suis seule dans la pièce. J’ôte le bandeau de mes yeux et me rends à l’évidence : elle est partie. J’en pleurerais de dépit. Je retrouve mes vêtements sur une chaise et me rhabille sans hâte, mes yeux balayant le décor enfin rendu à la lumière. Me penchant pour boucler mes escarpins, une petite chose noire sous le lit me saute aux yeux. Je tire de sous le matelas ce qui se révèle être un bracelet de cuir élimé.
Tout se fige en moi. Je ne peux plus respirer.
Ce bracelet, c’est celui d’Isabelle.

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Texte de Trinity, Photo Cathy Peylan, musique IMNSX « Trying hard not to »

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