Bleu klein

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Cathy Peylan Arles

« Mais qu’est-ce que je fous là, sans déconner… »

C’est bien la seule question qui me vint à l’esprit quand je descendis de ma voiture pour mettre un pied dans ce patelin paumé au nom difficilement prononçable. Partout des pancartes fluo vantaient ce qui semblait être l’événement de l’année : le Festival du tatouage. Vraiment détonnant dans ce décor de cambrousse. Ma mauvaise humeur teintait tout de gris. Sans grand entrain, je pris mon sac et commença à chercher T. qui m’avait conviée ici. Mon portable m’annonçait « plus de batterie ». Bien sûr… Loi de Murphy jusqu’au bout. Quand je la retrouverai, elle allait m’entendre…

Au détour de la rue principale, le décor changea d’un coup pour une ambiance de festival. La musique omniprésente baignait les visiteurs et les tatoueurs, qui rivalisaient d’excentricité dans leur coiffure et leurs vêtements. Avec ma tenue de sport bleue, mes running et mon sage carré long de cheveux châtains clairs, je détonais un peu.

À force de chercher, je finis par trouver un banc de libre et m’y installais tant bien que mal pour faire ce qu’on m’avait envoyée réaliser : des dessins de l’événement. Le carnet de croquis entre les mains, je me donnais une contenance pour observer les gens autour. Mes yeux s’accrochaient à tout ce qui me faisait sourire : cette fille au style gothique et aux cheveux teints en vert, cet homme imposant aux bras recouverts de dessins de Disney, cette famille se baladant tranquillement sans sembler sentir cette odeur écœurante, mélange de mauvaise bière et de marie jeanne mal dosée.

Dans le stand en face de moi, une femme attira mon regard. Ses cheveux noirs très courts ébouriffés tranchaient avec le soin de l’encre qui lui couvrait les deux bras de tatouages géométriques d’une minutie extrême. Son débardeur large et ouvert sur les côtés laissait deviner que les motifs se poursuivaient sur le dos et la poitrine, dans un style qu’Escher ne pourrait renier. Elle me sourit, et je réalisai que depuis une bonne dizaine de minutes, je la détaillais des pieds à la tête d’un regard intrusif.

« Ils te plaisent ? C’est un pote qui m’a encrée, il est là si tu veux te lancer. »

– euh… non je suis juste là pour voir, parler un peu de l’évènement. Vous vous appelez comment ?

– Lexie. Mais faut me tutoyer hein… Tout le monde se tutoie ici. Alors tu veux savoir quoi ? C’est quoi ton nom d’ailleurs ?

– Ludivine. Je viens faire des dessins pour un webmag en fait.

Sans façon, elle me prit des mains le carnet et le feuilleta, me laissant d’avantage de temps pour imprimer à mes rétines sa silhouette androgyne et ses lèvres ourlées parfaitement fardées d’un rouge grenat.

– J’adore… c’est toi là ?

Elle désignait le personnage blond que je prenais pour avatar sur papier.

– Oui. Et là, c’est ma compagne.

– Joli coup de crayon !

– Merci… Et toi alors, c’est quoi ton style ?

– Je suis plutôt bioméca et new school, un peu de graphique aussi. Tu es tatouée ?

– Oui, un petit tattoo sur l’aine qui m’a fait un mal de chien… J’ose même pas imaginer c’que ça doit faire mal ça.

Je pointais du doigt ses côtes couvertes d’ombrages subtils, frôlant comme sans le faire exprès une peau fine et délicate.

– La douleur, c’est subjectif tu sais… Allez, j’te fais un petit motif et si ça te plait, on prend une photo et j’te l’donne, ça te tente ?

Je ne pus que hocher la tête, le regard happé par sa gorge qui appelait le toucher.

L’arrière de son stand contenait tout ce qu’on peut s’attendre à trouver dans un salon, et l’ensemble était séparé de l’extérieur par de simples draps blancs tendus.

– Alors dis-moi c’que tu aimerais que j’te fasse… comme motif, rajouta-t-elle après m’avoir jeté un regard amusé qui me fit monter le rouge aux joues.

– Euh… j’aime bien ce que tu as sur les côtes.

– Du graphique donc…ok. Et où ? Tu as l’aine tatouée tu m’as dit…le haut de la cuisse serait pas mal non ?

J’acquiesçais sans même réfléchir. Cette fille me faisait perdre toute volonté. Elle avait ce je ne sais quoi d’hypnotisant, une présence obsédante. Affichant sans détour un style gender free, elle infusait dans l’air des ondes éminemment sexuelles, comme des bouffées d’envie pure.

– OK…Bon et bien je te laisse te déshabiller.

– Hein ? Quoi ? Mais j’veux pas me faire tatouer hein, juste voir c’que tu fais.

– Oui j’me doute, mais j’utilise pas de stencil, chez moi c’est free hand. Je dessine sans modèle si tu préfères. A main levée. Je suis les lignes du corps, je m’adapte, c’est comme ça qu’je travaille. Y’a un souci ?

Oui. Non. Une petite voix me soufflait de ne pas être si prude tandis qu’une autre me chuchotait un arbre des suites possibles qui s’enracinait dans le fait d’être nue devant elle. J’essayais de me recomposer une contenance naturelle, et commençais à faire valser mes chaussures et glisser mon tregging en bas des hanches.

– Super. J’arrive dans 2 min, j’ferme le stand pour qu’on soit pas dérangées.

Quand elle revint, un courant d’air frais fit frissonner mes jambes nues. Elle m’accorda un regard distant, professionnel, et sans vraiment réussir à me l’avouer, ce regard me vexa un peu. Elle saisit un feutre bleu à pointe très fine et me positionna, allongée tant bien que mal sur cette table matelassée à peine plus confortable que le sol. Je commençai à regretter ma docilité.

La pointe du feutre se posa sur la peau à l’arrière du genou et traça délicatement une ligne d’une finesse telle que je peinais à la voir. Le regard fermé au monde, une main sur ma cuisse pour me tenir parfaitement immobile, Lexie commença à créer à l’arrière de ma jambe une œuvre de perspectives où chaque ligne, miraculeusement juste et subtile, complétait parfaitement la suivante. La pointe douce du feutre allait et venait sur ma peau, caresses minuscules et précises que complétait son souffle chaud quand elle se rapprochait de moi pour fignoler un détail, parfaire une ombre ou rectifier une courbe.

L’œuvre grandissait, se répandait comme un échafaudage de bleu sur le coté de ma jambe, commençant à envahir l’avant de la cuisse. Le feutre saturait mes sens. Lexie restait parfaitement concentrée, penchée sur moi et sur son travail. Je sentais par à coups ses seins se poser comme deux mains tièdes sur ma cuisse. Il me suffirait de tendre la main pour la glisser dans ses cheveux noirs méchés de mille couleurs qui n’existent pas en vrai, et l’attirer à moi.

Le dessin vint buter contre l’élastique de la culotte sage que j’avais gardée. Sans s’interrompre, Lexie repoussa doucement le tissu et fit fleurir des arabesques bleues jusque dans le pli de l’aine. J’avais cessé de respirer, gardant dans ma poitrine un air brûlant et rouge, qui ne semblait pouvoir fuir qu’en gémissement.

C’était trop. Trop brûlant, trop rapide, trop d’attente… Quand un trait plus appuyé que les autres s’enhardit à gravir le mont de Venus encore caché, ma main chercha seule une prise, la trouva dans ses cheveux et je relâchai une nuée ardente de souffle écarlate.

Sans lâcher son feutre, Lexie posa simplement ses lèvres sur le tissu cachant à peine mes nymphes. Baiser délicat, camaïeu de sensations déferlant en vague carmin, remontant le chevalet des côtes, éclatant dans ma nuque en une fleur de supplice azure et délicieuse. Sa main libre libéra mes chairs de garance avides et ruisselantes, et sa langue vint cueillir mon clitoris fauve. Elle le prit entre ses lèvres, laissant sur les miennes un lavis de carmin et de cyprine, et l’aspira doucement, avidement. Le feutre ne cessait sa course, faisant éclore sur ma bouche mille nuances inarticulées. Elle le laissa tomber au sol pour le remplacer de ses doigts, m’envahissant à deux et rapidement à trois, triptyque m’assiégeant en volutes délicates et m’amenant au bord de la déchirure.

L’œuvre de bleu éphémère tachait sa peau, marquait ses joues d’ombres liquoreuses. Des silhouettes anonymes et floues couraient sur les draps blancs tendus, spectateurs sans visage et sans le savoir de ma petite mort qui se faisait attendre. Les mots s’accumulaient dans ma bouche en longues files, incapables de sortir, retenus par pudeur plus que par peur. Lexie le sentait, et faisait ses doigts plus longs, plus avides encore, plus nombreux pour combler l’espace de mon insondable et indicible ascension. Sa main glissa enfin, entière et attendue, une main tâchée de bleu qui m’emplit de chaleur et fut aussitôt emportée par l’afflux d’une jouissance vive, aveuglante… Les mains crispées dans ses cheveux, je noyai sa bouche, écrasai ses lèvres, retenai sa langue contre moi.

Quand l’étreinte se relâcha, Lexie se redressa et saisit l’appareil photo posé par terre. En faisant la mise au point sur mon corps vidé, elle chuchota comme pour elle-même : « Tu ne publieras pas ça, n’est ce pas… »

LuD et Trinity TatooTexte de Trinity, illustration LuD, photo Cathy Peylan

Ne rate pas Trinity avec un texte inédit dans le Fanzine #1 de WeAreLesFilles :

Seulement 200 exemplaires en vente, dédicacés et numérotés ! Dépêche-toi….

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