Etre lesbienne à Moscou, c’est accepter d’être invisible

1

Sacha_Lesbienne Du Monde

Sacha, 30 ans.

« Etre lesbienne à Moscou, c’est accepter d’être invisible »

Je ne me souviens pas exactement depuis quand je sais que j’aime les filles, ça s’est fait par étapes. Quand j’avais cinq ou six ans, j’ai fait un rêve dans lequel j’étais le preux chevalier qui sauve les princesses. À douze ans, toutes mes amies ont commencé à sortir avec des garçons, et j’ai réalisé que ce n’était pas pour moi.

Je vis mon homosexualité ouvertement : je suis acceptée par ma famille, je n’ai pas d’homophobes parmi mes collègues et mes proches, mais je sens que l’homophobie est partout – dans les regards agressifs croisés dans le métro, les commentaires stupides qu’on peut entendre dans la rue, sans parler des émissions homophobes à la télé.

Ici, la communauté lesbienne est invisible, tapie dans l’ombre des boîtes de nuit copiées sur les clubs privés pour hommes, avec du lap dance, des stripteaseuses, voire même dans certains lieux, de la prostitution. Dans la vie de tous les jours, depuis la banalisation de l’homophobie qui gagne de plus en plus de terrain, les lesbiennes vivent cachées. Si on pouvait encore l’ignorer il y a quelques années, depuis la loi contre la « propagande » homosexuelle votée en 2013 par le gouvernement, l’homophobie est en train de se banaliser. Selon moi, cette loi vient renforcer la politique actuelle en redirigeant l’agressivité du peuple, qui multiplie les actes de violence sur les homosexuels qui ne peuvent même plus manifester pour leurs droits.

Pour moi, il est étrange d’être lesbienne et ne pas être féministe. Puisque tout dans notre façon de vivre bouleverse « les valeurs traditionelles » qui sont la priorité politique de la Russie d’aujourd’hui, être lesbienne implique de se politiser et de militer. Je connais de nombreuses lesbiennes à Moscou qui pensent que l’homophobie ne concerne pas les filles qui habitent la capitale, qui ont un job bien payé, qui sont en fait les self-made-women… Pour elles, ce n’est pas de l’homophobie que de ne pas pouvoir s’exprimer en toute liberté, ne pas avoir les mêmes droits que les hétérosexuels ou ne pas pouvoir se marier. Je ne suis pas de cet avis.

Je pourrais dire que je suis née sous une bonne étoile : je suis acceptée par ma famille et mes collègues. Il faut dire qu’il y a cinq ans j’ai écrit dans mon C.V. que je suis lesbienne – juste pour prévenir des actes homophobes à mon égard. Si les patrons étaient homophobes, ils refuseraient ma candidature et voilà tout.

Issue d’une famille laïque, je n’ai pas eu de problème à concilier mon orientation sexuelle avec la religion orthodoxe, comme ma copine qui en a souffert. Je suis fière de lutter contre la lesbophobie en Russie, de participer aux manifs et aux projets artistiques. Mais est-ce que je suis véritablement heureuse ? Non, loin de là. Si je suis totalement acceptée par mes proches, je sens en permanence l’homophobie autour de moi. Donc, cet automne, comme le font de nombreuses lesbiennes russes, nous quitterons le pays pour mieux vivre ailleurs.

Auteure Julie Lezzie

1 commentaire

LAISSER UN COMMENTAIRE