Toi qui me lis

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Je ne te connais pas. Je ne sais même pas à quoi tu peux ressembler. En soi ce n’est pas vraiment important. Connexion étrange et unique qui fait fi de l’aspect. Tu ne sais pas qui je suis, à peine reconnais tu mon pseudo. Mais tu vas me sentir plus proche que je ne l’ai jamais été.
A cet instant, je tape sur le clavier de mon ordinateur et tu vois les mots à l’écran. Tes yeux glissent sur les lignes comme des doigts sur une peau. Tu crois avoir le contrôle, pas vrai ?
Tu l’as déjà perdu.

Les mots, c’est le pouvoir.
Chaque lettre que je choisis, je la choisis pour toi. Ronde et douce dans une bouche sur ton épaule, fine et pointue comme des griffes sur ton dos. Chaque phrase que je construis est modelée, taillée dans une chair invisible qui va te porter exactement là où je te veux.
Et je te veux. Tu es devant ce texte, une partie de moi. Je te veux consentante à en perdre la voix. Haletante à en perdre le souffle. Tes yeux courent sur ces lignes comme si ils couraient sur ma gorge. Et mes mots quittent ton écran, petites silhouettes noires sur fond blanc, s’étirant comme une chatte, invisibles et obsédants. Ils se glissent dans ta nuque, coulent sur tes seins, velours tièdes qui te recouvre…Tu les sens ?
Ils s’insinuent partout, liquides et impudiques. Ils sont mes mains, mes doigts par milliers. Par eux je te caresse, je te touche, je te possède exactement comme tu veux être possédée. Je suis tout ce que tu veux que je sois. Docile. Dominante. Pétrie de certitudes. Perdue entre tes bras.
J’écoute ta respiration qui s’accélère, imperceptiblement. Je la sens jusque dans mes doigts qui courent sur le clavier. Je fais mes mots plus courts. Acérés. Précis. Ils se glissent contre tes hanches, se plongent dans la chaleur entre tes cuisses. Je m’insinue partout. Une longue phrase écartent tes nymphes et mouille ses mots contre tes lèvres, les sèment contre ton clitoris. Tu les ressens ? Tu me sens ? Je les vois, je les imagine contre toi, en toi, pendant que d’autres chuchotent à ton oreille ce que tu as envie d’entendre, des phrases qui font perdre pied, des ordres qui résonnent comme des suppliques… Prend moi. Encore. Laisse-moi entrer.
Mes milles silhouettes d’encre te pénètrent, t’embrassent, te caressent, languissent, lèchent, mordillent, tout à la fois…

Je t’imagine face à l’écran. Tu ne crois pas à tout cela bien sûr. Mais tu as chaud. Un peu. Et ta main libre vient de glisser comme par mégarde entre tes cuisses. Tu remplaces mes mots. Enfin, tu en remplaces certains. Parce que tu m’entends encore, pas vrai ? Depuis que tu as lu le titre en haut de cette page, j’ai ce pouvoir sur toi. Le pouvoir des mots. Je le promets, j’en ferai exactement ce que tu veux…

Toi-qui-me-lis

Illustration @mdessine

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