Souviens-toi

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Trinity-Laura-Souviens-toi

C’était un rêve… Un souvenir peut être… Est-ce important ? C’est dans ma tête une réalité plus vive que tout le reste. Une naissance furieuse, dévorante. Depuis ce jour là, je ne suis plus tout à fait la même. Depuis ce jour là, je suis en vie.

Dans la salle de concert mal éclairée, la foule se presse en une masse indistincte errant sans but. Je les vois à peine, ces visages fades et anonymes qui m’entourent sans me voir. Je ne sais pas comment je suis arrivée ici. Des années après, je serai persuadée que c’était écrit quelque part.

Sur la scène à peine sur élevée, enchevêtrements de fils, de câbles d’ampli, stands de guitare bancals et setlist froissée annoncent l’imminence du concert. Trop de bruit, de gens, l’inconfort me pousse peu à peu vers le coté de cette estrade encombrée, abri dérisoire face à cette masse grouillante des samedis soirs. Un riff nerveux de guitare saturée me tire vers l’arrière salle comme un fil invisible. La porte marquée d’un strict « réservé au personnel » est entre ouverte.

Et par cet entrebâillement, je t’ai vue.
Merveilleusement, incroyablement, miraculeusement belle.
Une mèche de cheveux noire repoussée nerveusement sur le coté a d’abord délivré ton regard qui m’a happée comme un trou noir. C’est ce que j’ai remarqué en premier, cette incroyable distance de tes yeux perdus ailleurs, perdus bien loin d’ici. Les formes bouleversantes de ton visage se plissaient et ployaient sous l’effort de la répétition. Tu ne jouais pas, tu domptais cette guitare sauvage et noire, animale, hurlant les râles d’un animal blessé. Tout ton corps en semblait ému, déchiré, tremblant. Une perle de sueur naquit au coin de tes lèvres et je la suivis des yeux, glissant le long de ta mâchoire et mourant sur ta gorge. Un T shirt blanc dont tu avais ôté les manches et déchiré les coutures laissait deviner une peau diaphane et des seins menus libres comme des moineaux. Contraste fabuleux. Tu semblais à la fois d’une émouvante fragilité et d’une assurance sans égale.

Tes doigts couraient le long des cordes, arrachant au néant des notes rapides, rafales mélodiques et prouesses techniques. Et par-dessus ces accords enchaînés, ta voix naquit. Tu chantais doucement, comme pour toi-même, des phrases en anglais qui parlaient de la souffrance abyssale d’être seule, et chacun de tes mots se posait sur moi comme une neige de chaleur. Je t’épiais dans l’ombre, et toi, tu racontais à ta guitare les coups reçus, les insultes, le naufrage dans les eaux des plaisirs artificiels qui sont si incroyablement profondes et glacées. Tu chantais à quel point tu saignais de vivre et d’être tout simplement toi. La neige tiède se changea en ardente brûlure, parce que ces mots me parlaient, que je me reconnaissais dans tes maux. J’étais saisie par l’envie mortelle de chasser cette foule non loin derrière moi, ces gens qui voulaient tous te voir, et puis m’enfermer dans cette pièce avec toi, et te regarder, et t’écouter pour l’éternité.
Ta voix me remplissait comme de l’eau tiède, submergeait ma conscience indolente, noyait le temps d’avant. Je n’étais plus qu’ici, et maintenant.

Un verre se brisa derrière moi, et le monde entier retint son souffle. Ta main suspendit sa course folle et tes yeux, tes yeux incroyablement profonds se plantèrent dans les miens. J’étais incapable de bouger. Ton regard me sondait, sans gêne, sans scrupule, reconnaissant et fouillant les plaies invisibles saignant depuis l’enfance. Tu mis une minute qui me parut un siècle à briser le silence.

– On s’est déjà vu ?
– Non, j’crois pas. Tu montes sur scène bientôt ?
– J’sais pas. Notre bassiste nous a lâchés. J’pense que c’est mort pour ce soir.

Tu commenças à ranger tes affaires disséminées dans la pièce. Chaque mouvement te révélait plus encore à mes yeux et dénudait tes hanches sous la tension de la sangle de l’instrument. Des tatouages t’ornaient de toutes parts, je brûlais d’en imaginer plus encore que ce que je pouvais entrevoir.

– J’t’offre un verre ?
– Euh…oui d’accord. Y’a du monde par contre, faudra sans doute jouer des coudes.
– Ah non, pas ici, depuis le temps que j’y joue, j’peux t’dire que la bière est dégueulasse. Chez moi. C’est pas loin.

Je t’ai suivie ce soir-là. Sans même connaître ton nom. Sans m’en soucier. Je n’ai aucun souvenir du trajet.
Tu habitais au 4eme étage de cet immeuble. Dans l’ascenseur étroit et hors d’âge, on passait à peine à deux. Les portes se sont doucement refermées.
Et quelque chose a craqué.
Toute la retenue, toute la bienséance accumulée a disparu en un claquement de doigts. Tu as lâché ton étui, as attrapé ma nuque et tes lèvres ont forcé la barrière des miennes. Tu ne m’as pas embrassée, tu m’as goutée, visitée, dévorée de tes lèvres, de ta langue, de tes dents, sans reprendre ton souffle, mes mains accrochées à tes cheveux.

1er étage
Ta main sous mon T shirt, qui le repousse, le remonte…je sens tes doigts qui courent sur moi comme si le temps était compté, précis, avides. Tu déboutonnes mon jean, juste assez pour glisser une main preste et agile.

2eme étage
Je sens tes lèvres dans ma nuque, sous mon oreille, et ton souffle qui s’accélère. Je te tenais chastement par la taille, mais ton halètement fait sauter mes dernières barrières de réticence. De mes doigts sous ton haut rapiécé, je fais fleurir tes seins, trembler ton ventre.

3eme étage
Tes doigts manquent de place sous mon jean. Ils se pressent contre mon shorty, tirent dessus avec impatience. Tes dents impriment dans mon cou leur délicat feston.

4eme étage
Les portes s’ouvrent sur nos corps mêlés, impatients. Tu m’entraînes vers ton appartement, et le claquement de la porte qui se referme derrière toi sonne comme une chaîne qui lâche enfin. Nos vêtements nous pistent de l’entrée à la chambre aux volets clos.

Allongée en travers du lit, je te découvre de mes yeux, de mes mains, de tout mon corps. Tes seins dressés sont l’image même de la perfection délicate du vide violemment découpé par la chair. Je les attrape à pleine bouche, agaçant de mes dents tes tétons bruns qui durcissent sous mes lèvres. Tu me surmontes de toute ta splendeur, frottant doucement tes nymphes contre mon ventre glissant de cyprine brûlante, excitant seule ton clitoris contre ma peau. Je glisse un peu plus bas, faufile mon visage entre tes cuisses et te vois flatter tes nymphes contre ma bouche, contre mes joues, lèvres contre lèvres…

Tes mains agrippent mes cheveux courts et supplient, appellent ma bouche à s’ouvrir et à libérer une langue avide où tu t’empales avec délice. Je te parcours comme on aime, lentement, doucement, longuement, tu m’ouvres toutes les portes et je t’assiège. Tes gémissements grondent dans l’air, font vibrer ta poitrine et tu rejettes ta tête vers le ciel, comme pour les laisser s’échapper et emplir la chambre. Ton bras jeté en arrière te retient, se raccroche à ma cuisse où tes ongles tracent de délicats sillons. Aveuglément, instinctivement, tes doigts suivent toutes les pentes menant à mes nymphes qui t’appellent de leur éruption de plaisir pur. Quand tu entres en moi en un soupir, je gémis sous toi. Tu es dedans, dessus, partout, je suis cernée, enfermée, asservie et consentante, dominante et servile. Tes doigts entrent, et sortent, et reviennent, plus nombreux, ils m’habitent, ils me tiennent, m’emmènent. Je peine à maintenir ma langue qui se joue de ton clitoris quand tu t’écrases contre moi, noyant ma bouche dans les délices sirupeux de tes envies. Je glisse ma langue au plus profond de toi, immense, je t’embrase, brûle ton ventre entier et ta chair et ta voix qui s’enflamme jusqu’au ciel. Mes deux mains sur ton cul te maintiennent contre moi.
Chevauchante et maîtrisée, tu éclates dans ma bouche comme un fruit mûr, d’une jouissance prodigieuse, indicible, brûlant mes joues d’une lave nouvelle coulant comme de l’eau…

Je me souviens avoir pensé « je te tiens bébé, reviens, reviens… ».
A moins bien sûr que je ne l’ai rêvé…

Musique de IMNSX – « Lay Down »

Photo Nicolas Roger (son site )

8 COMMENTAIRES

  1. Ce texte est en train de devenir le point de départ d’un roman… Il appelait une suite, mais la suite commence à prendre de l’ampleur. Bonne idée?

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