Je connais tout un tas de filles et de femmes qui aiment le rugby. Tout un tas de filles et de femmes de toutes sortes. Des grandes, des petites, des filles musclées, des filles frêles, des lesbiennes, des hétéros, des bies, des aides-soignantes, des docteures, des techniciennes supérieures dans le nucléaire, des professeures, des coiffeuses, des étudiantes, des chômeuses, la liste est longue. Et, disons-le, elles en ont assez d’entendre que le rugby C’est pas un sport de femmelettes, pas un sport de tapettes, pas un sport de chochottes.

La première des choses frappantes dans tout ça, c’est que pour affirmer la puissance physique d’un sport, le mâle se sente obligé d’emprunter un vocabulaire sexiste et homophobe. Je suis une femme. Je suis homosexuelle. Je vais bien, merci. Je me souviens de cet entraînement où les filles de mon équipe ont cru nécessaire de crier des  On est des bonhommes ! pour se donner du courage pendant une séance de physique. Si on est du côté de la puissance physique, on ressent immédiatement le besoin de se placer du côté du masculin. Mon vagin ne m’empêche pas de faire des pompes, ni des abdos, ni du gainage. Je joue deuxième ligne, un poste où je passe plus de temps à plaquer l’adversaire (et donc potentiellement à finir la tête dans la boue) et à rentrer en mêlée qu’à courir sur quatre-vingt mètres telle une gazelle. Pourtant, je suis très fière de jouer à ce poste. De faire partie des avants, des grosses, comme on dit. Notez d’ailleurs que dire les grosses n’est pas en soi dévalorisant, puisqu’on dit les gros, pour parler des joueurs de la mêlée ; le terme a donc le mérite de n’être pas, pour une fois, aussi péjoratif qu’il en a l’air. Le rugby, c’est donc ça aussi, prendre conscience de son corps tel qu’il est, et en faire une force. Aucune honte à avoir en somme. Et l’on pourrait en faire un puissant moyen d’empowerment, d’auto-émancipation. Dans le sport, je prends conscience de mes atouts, comme de mes faiblesses et j’apprends à en tirer profit.

798976a766fc41e2710a2ab518a628abEt pourtant, lorsque j’observe les photos des matches, je me dis parfois que je ne suis pas très glamour. D’ailleurs, moi-même, j’avais hésité avant d’accepter que ma copine vienne me voir jouer. J’avais peur que ça nuise à l’image qu’elle pouvait avoir de moi. Le pire, c’est que je crois qu’elle trouve ça plutôt badass que je joue au rugby et que je sois, grâce à cela, en harmonie avec un corps que j’ai longtemps détesté, car trop grand, trop puissant, trop volumineux. Le rugby, joué par des femmes, pourrait être un magnifique moyen de dépasser les codes et les normes sociaux. Pourquoi alors acceptons-nous, nous les joueuses, qu’on continue de nous dire que ce n’est pas un sport de femmes ?

Le classique « Tu joues au rugby ? Wouah j’aurais jamais imaginé ! » presque aussi fréquent que le « T’es lesbienne ? C’est dingue, on dirait pas ! » Il est temps de tordre le cou aux stéréotypes. Force est de constater que les femmes qui pratiquent le rugby se retrouvent souvent à tenter de persuader les autres qu’elles restent des femmes, malgré les plaquages monstrueux, malgré les nez pétés le dimanche, malgré les marques de crampons sur les mollets. Les joueuses ont si bien intégré l’idée que ce sport n’était pas un sport de femmes, qu’elles vont réaffirmer une féminité sociale par tous les moyens. Il suffit de regarder les différentes pages Facebook des différents clubs. Du rose, du violet, des couleurs pastel pour la communication. Des photos de talons hauts égarés sur des terrains, parfois des sous-vêtements hyper sexy pendus aux crochets des vestiaires. Dois-je vous parler des calendriers des équipes ? Sous prétexte qu’une célébrissime équipe d’hommes a fait du calendrier de nus un basique de la communication rugbystique, doit-on pour autant rappeler notre féminité en posant nues ? Je ne le pense pas.  Petit à petit, certaines équipes en prennent conscience, et c’est une bouffée d’oxygène. Mais le match est loin d’être gagné encore.

762ce66ee22fd87d21fc194538e7d16eSur le terrain, nous sommes des bonhommes, donc nous devons d’autant plus nous plier aux codes des genres sociaux en dehors pour prouver que l’on reste bien de vraies femmes. Voilà l’impression qui se dégage de toute cette mascarade. Nous ne devons pas l’accepter. Les « valeurs du rugby » sont un doux refrain derrière lequel on se cache pour laisser croire que ce sport est mieux que les autres. Triste nouvelle en terre d’ovalie, mais c’est faux. Hier encore, mon amoureuse était au bord du pré, comme on dit, et dans les tribunes, les supporters avaient la langue bien pendue. Des remarques sur le physique de telle ou telle joueuse, des blagues lourdes etc. Quant aux remarques sur le jeu, elles étaient rarement dénuées d’une certaine condescendance. Et c’est une responsabilité partagée. Nous devons nous convaincre que nous n’avons rien à prouver, en ce qui concerne notre féminité. Que je sois épilée ou non avant un match, que je porte un maillot un peu trop large, que j’arrive au boulot le lundi les bras couverts de bleus et de griffures n’y changent rien. Nous sommes des sportives et la seule chose que nous avons à prouver, c’est notre envie d’aller aplatir le ballon derrière la ligne d’en-but. Ici comme ailleurs, il faut renvoyer le sexisme dans ses 22 et cesser de botter en touche.

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Leslie s'intéresse autant au cerveau des filles qu'à leurs vagins, et, parfois, entre deux mêlées, elle parle aussi de leurs poils et de leurs règles. @lpreel

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