GOUDOU DES VILLES, GOUDOU DES CHAMPS – Episode 1 : vis ma vie de lesbienne rurale

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« Et toi, la grande, quand c’est que tu vas te trouver un mec ? »

Voilà les mots prononcés par mon oncle un dimanche matin estival, alors que je venais de me lever suite à une nuit mouvementée passée à regarder moultes vidéos –dont l’on cachera la nature- sur la toile. Le pyjama tombant, les cheveux en bataille, la bouche pâteuse, je lui lançais, avant de mordre à pleines dents dans un croissant :
« Hm, pas prévu au programme.
– Et pourquoi ?
– Ça ne m’intéresse pas du tout.
– Allons bon, t’es pas gouine, quand même ? »
Silence dans le salon. Regard gêné et sourire crispé de ma mère. Longue attente d’une réponse qui ne viendra pas. La fin de l’histoire ? J’ai terminé mon croissant sur la terrasse, en marge de la visite familiale.

Car s’il est quelque chose de marginal, c’est bien l’homosexualité, là où j’ai grandi … En rase campagne.

Attention, je ne suis pas en train d’affirmer que le milieu urbain est un paradis pour tous ceux désirant vivre leur orientation sexuelle au grand jour : l’actualité ne cesse de nous prouver le contraire. Cependant, il semblerait que certaines caractéristiques soient propres aux zones rurales profondes françaises. Ce sont ces dernières que j’aimerais vous présenter dans la chronique qui suit.

Alors, concrètement qu’est-ce qui différencie le climat de la goudou des villes de celui de la goudou des champs ?

Déjà, parlons un peu du milieu. Vous savez, ce microcosme où se regroupent une fois la nuit tombée toutes les ravissantes créatures saphiques, où vous pensiez faire de nouvelles rencontres, et qu’en réalité vous croisez toutes vos ex qui semblent s’être donné le mot pour passer la soirée exactement là où vous aviez prévu de le faire ? Hé bien, soyez rassurées, dans la cambrousse, ce problème n’existe pas, car le milieu est simplement inexistant. Tout au plus une légende qui se transmet de génération en génération, un bruit qui court dans l’ombre des ruelles … il paraîtrait même qu’une butch de la vieille école ait tenté d’ouvrir un bar rainbow en province, il y a quelques années de cela, mais je ne crois guère cette rumeur relevant plus du souhait intérieur que du fait concret. Par conséquent, il est fort malaisé de rencontrer des lesbiennes ensemble, vu la rareté des lieux où elles peuvent passer du temps ensemble. En gros, la boîte la plus proche est à 45 minutes de route, le bar je n’en parle même pas, et trouver une association LGBT en campagne s’avère aussi délicat que la recherche d’une aiguille dans une botte de foin.

Cette difficulté est d’autant plus accrue que flotte comme un air latent et persistant d’homophobie en campagne. Bien que je lui préfère sans une once d’hésitation celle de l’herbe coupée séchant au soleil ou des saucisses grillant lentement sur le barbecue improvisé au bord de la rivière, il m’est impossible d’oublier l’odeur de l’intolérance, trop souvent croisée lors de mon adolescence. En campagne, on n’aime pas les pédales, on dénigre les vieilles gouines et on part casser du pédé quand ces derniers osent être un peu plus visibles.
Un exemple pour illustrer mon propos : dans mon village d’enfance (une centaine d’habitants, plus de vaches que d’êtres humains, vous voyez le genre ?) vivait un jeune couple d’hommes qui n’embêtaient personne et retapaient leur maison. Tout le monde les trouvait charmants, polis, calmes … MAIS « ils ne sont pas comme nous » (sic). Tous ces petits sous-entendus hypocrites ont fini par mener à une dispute un soir de fête, où un habitant sévèrement éméché, accompagné de ses copains devant l’être tout autant, ont usé des poings afin de couper court à la discussion.
Et encore, eux étaient adultes et s’assumaient. Imaginez le climat dans lequel désiraient s’épanouir les jeunes qui se découvraient une attirance pour ceux du même sexe. Ni la cellule familiale, ni le lycée ne sont épargnés.

Mais je crois que le plus frappant dans le fait d’avoir grandi en tant que lesbienne en cambrousse, c’est ce terrible sentiment de solitude qui nous frappe sans prévenir, s’agrippe fermement à nous et refuse obstinément de nous lâcher.

Le manque de points de comparaison et l’ambiance globale assez fermée à cet égard encouragent non seulement les jeunes à se taire, mais aussi les adultes assumés à devenir invisibles. Et quand bien même vos proches accueillaient votre coming-out avec bienveillance, la règle implicite était de ne surtout pas le divulguer aux autres, de peur des conséquences : dérangeant paradoxe où personne ne fait confiance à personne, et où le silence est la seule solution garantissant l’équilibre et la paix, alors qu’il serait plus simple de ne pas tenter de cacher la vérité (dans un univers aussi réduit, les informations circulent étonnamment vite) mais se montrer présent en cas de soutien nécessaire. En deux mots comme en mille : tais-toi. Tu assumeras plus tard. Mais je ne suis pas certaine que le « plus tard » aura lieu.

En conclusion, il n’est guère aisé pour une goudou de grandir –sinon d’évoluer en campagne. Mais ne nous laissons pas abattre : dans le prochain article à venir, nous essaierons de voir quels sont les moyens mis à notre disposition pour faire des rencontres !

GF.

champs

Crédits photos ci dessus : Insane Focus (https://www.flickr.com/photos/paranormart/)
Crédits photos couverture : Pauline (https://www.flickr.com/photos/popolatortue/)

4 COMMENTAIRES

  1. Tout à fait d’accord. D’ailleurs personnellement. À part les deux garçons gays s’assumant (et encore un se faisait harceler méchamment protéger quand je me retrouvais en récréation ou à la cantine avec lui. l’autre étant un peu plus proteger par les filles car du coin. Gay venant d’ailleurs et gay du coin…).
    Je me désespérais d’être la seule lesbienne. Même si certaines et certains me semblaient quelque peu « peu hétéro  »
    Cest en arrivant à la fac dans une grande ville que miracle des miracles nous étions une bonne vingtaine à nous reconnaître lors de nos premières sorties. (La première année 5…puis d’autres arrivant les années suivantes et oui à la campagne on connaît tout le monde ).
    Mais pour la plupart nous ne sommes absolument pas devenu amis…. Ca nous a fai du bien de voir qu’on était pas seul mais un tel rapprochement aurait susciter des questions chez nos entourages prompts à lhomophobie (même si le mien d’entourage s’est plutôt révéler super ouvert) comme quoi !

  2. J’ai grandi à la campagne, moi aussi, et je suis totalement passée à côté de l’homophobie ambiante ( je n’y prêtait sans doute pas encore la même attention, puisque je l’ai quitté à ma majorité ) cela dit, on était pas nombreuses dans le camp des lesbiennes, il y avait moi, mon ex qui est devenue hétéro par la suite ( rire ) et mon autre ex. Le champs des possibles était en effet réduit, quand aux lieux pour s’épanouir, éventuellement même tester son pouvoir de séduction, il y avait le bar pmu, tenu par gege, inconditionnel de Johnny Hallyday et point de ralliement de tous les routiers de la régions. Autant dire qu’ on était pas vraiment assortis, cela dit, je n’avais pas le droit de sortir après 21h, alors la question ne se posait même pas. Je retrouvais mes copines directement dans leurs chambres, et c’était officieusement pour réviser pour ce fameux bac blanc, qui m’aura sacrément fait transpirer ( vous pouvez imaginer n’importe quelle scène, ici ). Bon, depuis que je suis citadine, ma vie sentimentale ne s’est pas franchement améliorée mais j’ai adoré passionement le milieu dès lors que je l’ai découvert, je m’y suis fait un cocoon, j’y ai milité, et j’y ais aussi découvert des copines, mais ça, c’est l’objet d’un autre témoignage… 😉

  3. C’est n’importe quoi cet article! J’ai grandi à la campagne et je suis revenue y vivre avec ma compagne et sa fille après une quinzaine d’années en ville. Je n’ai subi aucune réflexion homophobe. Oui, la première association LGBT est à 45 mn de voiture et alors? Il faut combien de temps pour venir de banlieue dans Paris en voiture ou en transport? Ce parisianisme condescendant est insupportable

  4. A mes 50 ans , c’est seulement après avoir fait LA rencontre que je me suis interrogée sur…allons-y gaiement si je puis dire… ma sexualité, mon éventuelle homosexualité refoulée, mon homophobie intégrée… eh oui, j’ai trouvé ce terme au détour d’un forum..et bien sûr tous les questionnements autour du regard des gens .
    Dans tout ce fourbi intérieur je patauge depuis des mois, tout en sachant que ce que je vis avec la merveilleuse femme que j’ai rencontrée se saura un jour ou l’autre que je le veuille ou non! Et oui, j’habite dans un petit village. Donc, pas de choix de coming out pour moi

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