La Thaïlande, paradis du troisième sexe ? 

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En évoquant les nombreux charmes de l’ancien royaume du Siam, on pense à ses îles paradisiaques, à ses temples bouddhistes majestueux, à sa cuisine succulente, mais également à ses célèbres ladyboys. Si aujourd’hui le troisième sexe s’affiche fièrement à travers ses égéries, possède ses propres sanitaires dans les écoles et jouit d’un libre accès aux hormones, les discriminations restent bien présentes. Enquête au pays du sourire. 

En Thaïlande, les transsexuelles sont légion. Nul ne peut y voyager sans en croiser, la plupart du temps à son insu. Les katoeys (transsexuelles en thaï) ne se rencontrent pas que dans les quartiers chauds de Bangkok et de Pattaya, elles sont partout. Et si on ne les reconnait pas en tant que telles, c’est qu’elles sont parfaites. Oubliez les mains trop larges, les silhouettes grossières ou les mâchoires carrées – les ladyboys sont plus gracieuses et féminines que la plupart des femmes thaïe biologiques et d’aucuns vous diront qu’elles sont encore plus belles. Les jeunes hommes asiatiques sont avantagés par leur constitution androgyne, quasi imberbe, de taille moyenne aux traits fins. Débutant la prise d’hormones dès l’adolescence, les katoeys acquièrent vite une silhouette sylphide, plus grandes et élancées que les femmes thaïlandaises. Ces dernières dédaignent en général les talons aiguille et les apparats trop féminins. De ce fait, si l’on est en présence d’une asiatique sexy dépassant le mètre soixante-dix, il y a de grandes chances pour qu’elle ne soit pas née femme.

Véritables ambassadrices de la féminité, les ladyboys ont même leur concours de beauté. Suivie par des millions de Thaïlandais à la télé, l’élection de Miss Tiffany se tient annuellement à Pattaya et sa renommée est mondiale. Les gagnantes deviennent des stars à l’emploi du temps minuté et les idoles des jeunes générations de katoeys en quête de modèles. Car c’est au collège que tout commence, avec la prise de conscience de sa différence et l’envie de s’associer à ses semblables. En Thaïlande, le nombre de garçons qui se considèrent des filles est énorme: de 10 à 20 % selon les écoles. C’est pourquoi les établissements sont nombreux à s’être équipés de sanitaires réservés au troisième sexe, afin que les katoeys en herbe puissent se coiffer et se maquiller sans se faire brimer par les garçons ou rejeter par les filles. Pour autant, les jeunes transgenres n’ont pas le droit de porter l’uniforme scolaire du sexe opposé, ni de se faire pousser les cheveux. Ce n’est donc qu’en quittant le domicile familial pour aller à l’université que la plupart des ladyboys peuvent enfin donner libre cours à leur transition, à l’instar de Hua, 35 ans: « J’ai toujours eu un caractère très doux et j’étais mal dans ma peau. A partir du collège, je me suis rapprochée de personnes comme moi, des garçons qui voulaient devenir des filles. J’ai la chance de ne pas avoir été seule : au contraire, j’avais l’impression d’avoir beaucoup de semblables autour de moi ! Je ne me suis jamais définie comme katoey auprès de mes parents. Ils l’ont certainement entendu de la bouche de voisins, mais ils savaient mieux que quiconque que j’étais différente. Quand je suis partie pour faire des études, j’ai laissé pousser mes cheveux, et en revenant, j’ai présenté mon petit ami à ma mère. Elle a toujours été d’un grand soutien, car ce qui compte pour mes parents, c’est de me voir heureuse ». La grande compassion dont fait preuve le peuple thaï envers les transsexuels s’explique par une croyance populaire selon laquelle un katoey serait la réincarnation d’une femme infidèle dans une vie passée. Pour autant, au pays du sourire les ladyboys ne voient pas toujours la vie en rose. « La Thaïlande peut sembler être le paradis pour le troisième sexe, mais c’est sans voir l’envers du décor », assure Hua qui milite depuis dix ans pour les droits des transsexuels. En effet, le pays du sourire peut sembler attrayant, avec ses hormones féminines en vente libre et ses quelque trente mille vaginoplasties pratiquées par des pionniers de la réassignation sexuelle chaque année. Mais pour celles qui peuvent se l’offrir, le problème identitaire n’est pas réglé pour autant. Même opérées, elles restent des hommes au yeux de la loi. En 2011, il a été question d’accorder le statut de « mademoiselle » sur les papiers d’identité, mais ce n’est pas passé. De fait, les katoeys se font souvent refuser des postes importants, pour des questions de réputation. « La Thaïlande donne une image de paradis pour les personnes transgenres, mais la réalité est un peu plus compliquée que ça », explique Hua. « Il est vrai que le bouddhisme contribue beaucoup à l’ouverture d’esprit et à la tolérance du peuple thaï vis-à-vis de la transsexualité et de l’homosexualité, mais il existe néanmoins beaucoup de discriminations. Professionnellement parlant, il est rare de voir des katoeys faire carrière dans d’autres domaines que le showbiz, en tant que coiffeuse, maquilleuse ou danseuse de cabaret. Elles sont exploitées dans le tourisme, comme masseuses, serveuses, entraîneuses, sans parler de la prostitution très importante. La Thaïlande a beau être un des pays les plus tolérants quant au troisième sexe, il lui reste néanmoins des progrès à faire au niveau des droits, et de l’accessibilité à la chirurgie pour ses citoyens transgenres. Personnellement, j’ai longtemps rejeté l’étiquette katoey qui sonnait comme une insulte. Aujourd’hui, je travaille à lui redonner un sens positif pour aider d’autres femmes transsexuelles à se définir. Mais pour moi, ce n’est pas l’identité de genre qui définit une personne. Le plus important est de s’accepter soi-même afin de trouver la paix d’esprit. Les plus beaux cadeaux que je retire de mon parcours sont l’amour et l’estime de soi. »

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